UNE SORTIE DE MESSE A SAINT-CAST EN HAUT PENTHIEVRE*

Nous sommes un dimanche d’avril 1910, la fête de Pâques a eu lieu le dernier dimanche de mars, les jeunes garçons arborent des canotiers neufs. Il fait encore un peu frais mais les belles journées sont une promesse. Les femmes sont encore nombreuses à participer à la grand-messe dominicale. Toutes ou presque portent encore le costume traditionnel pour cette occasion, oh bien sûr ce ne sont pas les belles tenues avec les grands châles en mérinos brodés, les beaux dalais* eux-mêmes très brodés, tout cela est très soigneusement remisé dans les « préss » *. On ne ressort ces merveilles que pour les grandes cérémonies, Pâques, justement ou les noces qui réunissent parents et voisins, les belles et longues processions le jour de la Fête du Saint-Sacrement (Fête-Dieu) au Moulin d’Anne. Pour ce dimanche un peu ordinaire, les règles de mise sont respectées mais on affiche une évidente sobriété.

À l’instar de nombreuses paroisses et communes de haute-Bretagne on a récemment construit une nouvelle et spacieuse église de style néo-gothique et hélas la précédente avec sa tour-clocher si spécifique sera rasée par la suite, car jugée trop exiguë, trop sombre…et trop vieille.
Le 4 juillet 1897 une cérémonie a lieu pour la pose de la première pierre de la nouvelle église dédiée à Saint Cado (Saint Cast), moine évangélisateur, né au VIème siècle, fils probable d’un chef breton du pays de Galles. Voici ce document, rare et précieux car il est un des seuls sur lequel on voit de nombreuses femmes de dos, parfaitement coiffées. Le grand intérêt réside dans le fait qu’il révèle le mode de coiffure des cheveux en catogan lissé sous le dalais.
Saint-Cast est une localité située sur la côte du haut-Penthièvre formant une presqu’île avec la Baie de la Fresnaye à l’ouest. Sur la partie orientale de la commune se jette dans la Manche, un petit fleuve côtier, l’Arguenon qui sépare le Penthièvre du Poudouvre.

La partie ancienne de Saint-Cast se nomme l’Isle, on y trouve de jolies maisons du temps passé aux moellons de granit et schiste locaux. L’Isle est majoritairement habité par une population de pêcheurs. Le Bourg, d’implantation plus récente, à une bonne distance à l’est, est le lieu où se déroule cette scène. L’église paroissiale en est le cœur. Face à l’église se tient le monument aux morts sculpté par Armel Beaufils, une jeune castine en costume traditionnel fidèlement reproduit, se recueille à la mémoire des disparus de la Grande Guerre principalement.
A cette époque, Saint-Cast n’est pas encore ou tout juste, la cité balnéaire, avec le quartier des Mielles, qu’elle est devenue plus tard.

De nombreux hameaux, que l’on appelle « villaïj » en gallo, sont abondamment peuplés et principalement encore de pêcheurs, même si on compte quelques fermes : la Ville Orien, la Ville Norme, la Baillie, la Corvée à l’ouest, le Biot, la Cour, la Chapelle, Sainte-Brigitte et autres à l’est. Et c’est principalement la gent féminine qui le dimanche se pare des costumes traditionnels pour se rendre au bourg pour assister à l’office en se serrant sur les bancs de l’église paroissiale.


LE CHOIX DES DEUX PERSONNES EN COSTUME.

Sur cette photographie devenue carte postale, j’ai donc fait le choix de présenter deux personnes, une jeune fille qui sans nul doute possible habitait Saint-Cast et plutôt le bourg, et une femme plus âgée qui de par sa coiffure pouvait venir d’une localité toute proche, plus à l’ouest.

La jeune fille : (Celle de droite sur ce détail photographique très agrandi et donc de qualité technique médiocre)

À l’instar de toutes les jeunes filles des terroirs de haute-Bretagne, à cette époque, même précédemment, cette jeune fille (ici à droite) que j’ai baptisée Clémentine (prénom de mon informatrice aimée, prolixe sur cette vie castine passée), est habillée à la mode de son temps en ce qui concerne la base du costume. Même si nous ne sommes pas, comme dit en introduction, le jour d’une grande cérémonie, Clémentine, fille du bourg porte des éléments aux belles étoffes. L’ensemble est noir car nous sommes ainsi au mieux de la mode et cela reste très « chic ». Sur la culotte dite anglaise (culotte fendue) et un minimum de deux jupons qui font tournure, la jupe est réalisée dans un épais ottoman mais aux fins sillons, de soie. Bien sûr la balayette dans le bas, sur le bord de la jupe, qui possède un résiduel petit effet de traîne, évite l’usure contre le frottement au sol.
Montage arrière de la jupe et le bas avec sa balayette
Le caraco en satinette, bien ajusté est d’une grande simplicité, ce n’est pas lui que l’on verra, sur l’avant du buste, il est recouvert d’une guimpe elle-même en ottoman de soie grise, il est agrémenté de boutons et d’un fin rinceau, l’ensemble en perles de jais.



Et encore ainsi que le font les jeunes filles et les femmes des terroirs de haute-Bretagne à cette époque, elle porte pardessus ce qu’on appelle « la taille », les trois éléments identitaires qui localisent précisément son costume, à savoir, la devantière*, le monchoué* et la coiffe surtout.
La devantière est en soie noire façonnée ou dite brochée, à motifs de fleurs et bordée d’une dentelle de style du Puy. Nous sommes à la dernière mode et cette devantière a perdu sa bavette (contrairement à celle du monument aux morts, car elle de mode légèrement plus ancienne).



Le monchoué*, nous sommes en Penthièvre et dans ce terroir, ainsi qu’en Goëlo, Trégor et Léon, les châles sont portés très longs, jusqu’à la cheville. Clémentine est une jeune fille élégante et elle se dit que même pour un simple dimanche, elle apprécie de porter un monchoué brodé. Pour son mariage ou des noces dans la famille ce sera « un amande »,
nom donné aux beaux châles de cette teinte, la couleur la plus répandue dans les quelques communes du secteur pour les grandes cérémonies. Aujourd’hui il est noir, et les délicates broderies, assorties aux franges, ont une teinte légèrement cuivrée pour les mettre en valeur même sobrement.
La coiffe ici elle s’appelle Dalais (ou Dalet). Ce dalais est porté dans vingt-cinq communes, sur la frange côtière de la Manche et aussi dans les terres. Pour la très grande majorité elle est d’implantation ancienne, elle est la coiffe unique, on la trouve dans au moins une gravure de Laloue (Femme du Cap Fréhel) vers 1830. Quelques communes, au sud, comme Plédéliac et Pléven, l’ont adoptée plus récemment, supplantant en partie la coiffe existante.

C’est une coiffe à ailes « rebrassées ». De dimensions imposantes au XIXème siècle, comme la plupart des coiffes bretonnes, elle a considérablement diminué jusqu’entre les deux guerres du XXème siècle. Si la largeur des ailes s’est passablement rétrécie (de 23cm sur un dalais d’Erquy de 1880 à, à peine 2cm sur un dalais d’Hénansal vers les années 1940), la longueur de celles-ci a été peu affectée.

Clémentine porte un dalais de tulle brodé au fil passé, c’est la dernière mode, et c’est celle qui va définitivement perdurer à Saint-Cast. Rappelons que nous sommes un dimanche ordinaire, l’allure du dalais est certes fine et aérée mais il n’y a donc rien d’ostentatoire, comme pour une grande coiffe de mariage.

À cette époque encore, les jeunes filles et les femmes pratiquent une coiffure de cheveux, sous la coiffe, assez élaborée appelée coiffure à catogan lissé. Elle est dite archaïque car n’obéissant pas aux influences de la mode. On la retrouve identique en mode du Capot d’Uzel, en Pays rouzig (Châteaulin) et en Pays bigouden.


Coiffe de cheveux en filet et la lisette qui maintient le haut du catogan
Sur une coiffe de cheveux réalisée en filet, la femme relève ses cheveux à l’arrière en les lissant, l’ensemble est maintenu par une « lisette » * de velours. Cette façon de faire est parfaitement identifiable sur le document iconographique visible au début de cette communication, illustrant la cérémonie de la pose de la première pose de la nouvelle église.

Le dalais est ensuite fixé avec quelques épingles sur la partie velours de la coiffe de cheveux. C’est à partir de Pléhérel, de Plévenon et encore plus à Saint-Cast que les ailes du dalais s’orientent vers l’arrière du visage.

Comme à peu près partout en Bretagne, femmes et jeunes filles ne lavent ni n’amidonnent ni ne repassent leurs coiffes. Elles confient ce travail délicat à des expertes que sont les lingères :

Madame Besnard, née Fromont, lingère, exerçait à la Ville Orien, puis le relais a été pris par les femmes Josset, lingères à Lesrot qui entretiennent désormais tous ces petits trésors de gaze, de tulle, de broderie et de dentelle.

La femme à la capeline
Cette femme n’habite pas Saint-Cast mais dans une commune toute proche, à Plévenon ou Pléhérel. A Saint-Cast et Matignon, exclusivement, les femmes qui ont décidé de quitter le dalais, portent un capot différent de celui-ci. Elle est venue rendre visite à une sœur ou une cousine pour la journée.

Je l’appellerai Colette, prénom de mon informatrice de Pléhérel qui m’a confié un certain nombre de pièces vestimentaires de grand intérêt et beaucoup d’informations sur les traditions locales.

Ce jour, il ne fait pas encore très chaud en ce jour de printemps et sur le corps elle a gardé sa chemise de jour d’hiver (qui peut tout aussi servir pour la nuit). Cette chemise en lin, portée par une femme de Saint-Cast (famille Urban) à cette époque est suffisamment longue pour agir comme un premier jupon (que l’on appelle aussi plus savamment modestie)






Les jupons épais sont au nombre minimum de deux ou trois. Et par-dessus Colette a enfilé une jupe épaisse en beau drap de laine noir. Cette jupe au montage ancien a été confectionnée par une couturière de Saint Pôtan. Pour la présentation, ce sera la copie conforme de cette jupe qui elle est devenue trop fragile pour être reportée.

Sur ces clichés on note la belle structure archaïque de cette jupe trouvée dans une ferme à Château-Callé en Saint- Pôtan avec son ampleur, son pli « religieuse » et surtout le montage avec les godrons, qui une fois appliqués perpendiculairement à la taille de la personne donnent l’effet d’un vertugadin.

Le caraco, est réalisé dans une petite cotonnade à rayures, noires blanches et grises. Le col est haut, réminiscence d’une mode un peu passée.

La devantière, ne rappelle pas celle de cérémonie, elle présente une coupe plus simple, n’empêche, taillée dans une belle satinette noire épaisse et brillante, elle a bel effet pour un dimanche un peu ordinaire.

Les quatre petits plis « religieuse » ajoutent un semblant d’élégance, ajoutés aux plis soignés du repassage.



Le « monchoué » remplit sa fonction de protection, il est en laine quelque peu épaisse. Il ne possède aucune broderie, son macramé, lui-même en laine, qui constitue les franges, représente sur le monchoué un élément « de dimanche » en opposition à un autre, de semaine, qui serait sans ces franges.

Les cheveux de Colette ont perdu un peu de leur volume, celui de sa jeunesse, elle ne les coiffe plus en catogan, mais elle a soigné son chignon qui est caché dans un serre-tête en coton blanc qui ne manque pas d’élégance et de spécificité avec ses nervures sur le devant. Et puis par-dessus, elle a posé sa capeline et noué les liens non sous le menton mais avec un chic légèrement discret sur le côté bas de la joue.





Ces capelines appelées aussi quelquefois en gallo cassiettes ou carapettes (plus dans des communes proches de Lamballe, Coëtmieux, Pléneuf…) appartiennent à une type de coiffure que l’on nomme capots, on en retrouve notamment des versions plus ou moins ressemblantes dans l’île de Bréhat ainsi que dans les îles anglo-normandes.

Si les femmes âgées préfèraient majoritairement des versions de couleur noire, surtout « à la mauvaise saison », on retrouve des documents où des femmes plus jeunes en arboraient des exemplaires de couleur blanche ou des versions en cotonade à pois de couleur.



Et pour en terminer sur leur mise, que portent-elles et qui n’est pas visible ? Ce sont la culotte fendue, d’amples jupons, blancs et d’autres à rayures, des bas retenus par des jarretières ...

Nos deux femmes portent des bijoux , dormeuses, sautoir ou châtelaine contemporains de leur époque et en vigueur à cette époque, rien d’extravagant mais liés à leur statut social, à leur âge et au caractère un peu ordinaire de cette journée.





… et bien désormais la « messe est dite » chacun et chacune, en famille va rentrer pour « dîner » *, le plat principal sera une volaille élévée à la maison, cuite au four entourée de pommes de terre, souvent avec aussi quelques pommes. Au dessert la crème renversée accompagnée de son coulis* constituera le dessert.
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*Le haut-Penthièvre est un territoire qui n’a pas de réalité historique, seulement une homogénéité au niveau où nous l’entendons des Arts et Traditions populaires. C’est le pays des avant-deux au pas du Branle ancien dit Branle gai par Thoinot Arbeau à la Renaissance. C’est aussi le Pays principalement du port de la coiffe appelée Dalais, portée dans 25 communes. Dans ce territoire, plus au sud on porte la coiffe dite à cocarde autour de Plénée-Jugon.

Le haut-Penthièvre constitue avec le Pays de Saint-Brieuc et le Pays de Loudéac, le terroir du PENTHIEVRE, toujours au sens des Arts et Traditions populaires.










*Vocabulaire spécifique :

Un dalais (ou dallet), coiffe du haut-Penthièvre porté exclusivement, ou partiellement car d’importation récente, dans 25 communes.

Une préss (gallo), le é est prononcé très fermé et on prononce le s. Ce terme désigne une armoire le plus souvent en châtaignier où l’on range le linge.

Un villaïj faux ami, correspond en français au hameau et non au village.

Une devantière, ici les femmes n’employaient pas le terme de tablier mais celui donc de devantière pour désigner la pièce portée sur la jupe, qu’elle soit d’apparat ou pour le quotidien.

Un monchoué en gallo, mouchoir pour le châle qu’il soit de petite taille ou très long jusqu’aux chevilles.

Une lisette, terme qui m’a été donné la première par Madame Taillard de La Harmoye m’initiant à la coiffure et pose complète du Capon. Par la suite je l’ai rencontré à plusieurs reprises. Il désigne en Penthièvre tous ces petits éléments liés à la coiffure, lacets, rubans, fils…

Le dîner désigne dans ce pays le repas pris le midi.

Le coulis est une crème liquide, chauffée, à base de jaunes d’œuf, lait et sucre, ce qu’on appelle maintenant crème anglaise.



Bilbliographie

Saint-Cast, Belle Epoque et Années Folles par Christian Fauvel, Editions Astoure.

Mémoires en images Saint-Cast Editions Fauvel.

Les Amis de Lamballe et du Penthièvre Bulletin 2016 N°43 Le Costume traditionnel de Saint-Cast, Pléboulle,Plévenon, Pléhérel.

Fiche terroir Kenleur le haut-Penthièvre

Fiche costume Kenleur le haut-Penthièvre

Encyclopédie Danses de toutes les Bretagnes Le Penthièvre II Coiffage par Louise-Anne

… et puis des remerciements à ma mère Jeannine Lemaitre née à Hénansal et hélas posthumes à ma grand-mère Elise Marquer et à ma chère informatrice Clémentine Urban, toutes deux nées et ayant vécu à Saint Cast, ainsi que Colette Méheust du Vieux-Bourg de Pléhérel pour l’abondance de tout ce que j’ai pu apprendre auprès d’elles sur le sujet.