Les Castins et Guildocéens pendant la guerre 1914-1918
La déclaration de guerre :
Dans ses Souvenirs, un castin, né à Pen Guen, écrit : «Depuis le 20 juin 1914, les bruits les plus alarmants circulent sur l’imminence de la guerre. Mais beaucoup de gens pensent que cela va s’arranger comme c’est arrivé tant de fois. Et puis, si par hasard, la guerre se déclarait, ce serait une affaire de 15 jours au plus avec les engins perfectionnés et les effectifs actuels… Le samedi matin 1 août, les journaux sont pessimistes et ne laissent aucun espoir de voir la crise résolue pacifiquement ; le ton est belliqueux… En fin d’après-midi passe un gendarme allant à bicyclette porter l’ordre de mobilisation qui sera affiché à la mairie. Quelques instants après, vers 6 heures, on entend le tocsin, sonnerie lugubre qui retentit au-dessus des villages et des maisons.
Le dimanche 2 août, premier jour de mobilisation, on sent partout la tristesse… Il paraît que dans les villes, au départ des troupes, ce ne sont que vivats, chansons joyeuses et cris de « à Berlin comme en 70». La guerre est déclarée officiellement le lundi 3 août à 6 heures du soir. Tous les hommes valides vont partir.
Après le 4 août, les dépêches officielles arrivent par Matignon où il faut aller les prendre en bicyclette. Les trains transportent les troupes, les lettres ne marchent plus, les journaux sont soumis à la censure. Les dépêches deviennent rares puis bientôt plus rien pendant 10 ou 12 jours. Attente terrible. Et l’on apprend avec stupeur que les Prussiens sont à 25 kilomètres de Paris et que le gouvernement est à Bordeaux.»
Les premières victimes :
Les régions de l’Est et du Nord ainsi que la Belgique qui n’a pas voulu laisser passer les Allemands sur son territoire connaissent les premiers affrontements. La rumeur qui sera bientôt confirmée parle de soldats du pays qui seraient morts, blessés ou faits prisonniers. Les deux premiers castins «tombés glorieusement au champ d’honneur», le 26 août1914, à Cheveuges, près de Sedan, sont Gaston Besnard de la Vieuxville (21 ans) et Marie-Ange Merdrignac (26 ans) ; pour Notre-Dame du Guildo, le premier sera Joseph Dibonnet (29 ans), le 30 août 1914 à La Boult-aux Bois, près de Vouziers. Au fil des mois et des années, la liste des morts s’allongera inexorablement. Ils seront enterrés sur le champ, après le combat, ou dans un cimetière de l’arrière, par leurs camarades solidaires. Qui sont ces «poilus» dont le nom est gravé dans la pierre de nos monuments et dont nous avons voulu connaître l’histoire ? Des jeunes gens de 20 ans, des célibataires, des pères de famille, des agriculteurs, des commerçants ou des marins. Car si la guerre fait rage sur le front, elle a lieu aussi en mer. Des bateaux dont le Stella, le Bouvet, la Madeleine, la Provence II, le Gambetta, la Jeanne II sur lesquels se trouvent des Guildocéens et des Castins sont torpillés par les sous-marins allemands et autrichiens, en Méditerranée et en Adriatique, surtout en 1916 et 1917.
Les blessés :
Au début de la guerre, les blessés sont soignés sur place de façon sommaire par une équipe médicale sans grand matériel mais, à partir de 1915, vu le nombre d’amputations dues à des lésions provenant d’éclats d’obus souillés par la terre, ce sont les blessés qui sont transportés par trains sanitaires vers l’ambulance (poste de secours) la mieux adaptée à leur type de blessures. Un ambulancier castin écrit : «Nous sommes 2 infirmiers par voiture avec 14 blessés couchés et 24 assis». Le 13 juillet 1915, «ça cogne dur en Argonne. Nombreux trains de blessés. Ils arrivent directement des tranchées, boueux, crevant de faim et de soif. Nous ne savons pas où les mettre. Toute la nuit, on en reçoit. Temps affreux. Pluie, vent, canon; tout fait rage. Les Prussiens veulent passer, là en face». Quelques jours plus tard, il écrira: «On emporte les blessés dans des voitures à ânes primitives».
Les prisonniers :
Les prisonniers sont envoyés dans des camps de travail en Allemagne. L’un d’eux, du bourg de Saint-Cast, blessé et fait prisonnier dès le 22 août 1914, lors de la bataille de Charleroi, travaille d’abord dans une ferme où il était relativement nourri. Affecté ensuite dans une mine de charbon, en 1915, ses conditions de vie se durcissent : «Je wagonne tous les jours. Je prends le travail à 5 heures du matin jusqu’à 1 heure de l’après-midi. A 2 heures, je mange… La ration est de plus en plus maigre… je travaille à quinze cents pieds sous terre». En novembre 1916, il écrit: «Je fais en plus, deux fois par semaine, douze heures de travail». L’absence de lumière et la nourriture peu variée ont des conséquences sur sa santé: «Je me suis déjà fait arracher 14 dents de la mâchoire supérieure. Il m’en reste 2 bonnes. Pour le menu que j’ai, cela ne me gêne guère pour manger».
De Saint-Cast, lui parviennent les colis envoyés par la famille ; ils mettent parfois 10 ou 15 jours à arriver. Ils contiennent du pain «pour la trempe le matin et le soir avec du café, mes deux meilleurs repas de la journée», de la saucisse ou du lard, du sucre, des pommes. Il reçoit aussi régulièrement des colis de 2 kg de pain de la Croix Rouge de Berne, quelques colis de la Croix d’Or de Saint-Brieuc, et de rares colis du Comité départemental contenant des biscuits et 2 conserves.
Les réfugiés :
Dès le mois d’août 1914, Saint-Cast reçoit les premiers réfugiés venant du Nord et de la Belgique, fuyant devant l’avancée des troupes allemandes car le souvenir de 1870 est encore présent dans les esprits. Ils sont logés dans les familles ou dans les hôtels non occupés, comme l’hôtel Saint-Cast, boulevard Duponchel. La commune leur verse une allocation. En 1916, l’hôtel Ar Vro accueille, par ordre de la préfecture, de 50 à 100 enfants de la région de l’Yser, encadrés par des enseignants belges. L’hôpital complémentaire n° 6o totalisant 400 lits répartis en 5 sites (hôtels des Bains, Beauséjour, Bellevue, Quimbrot, Royal Bellevue et la Villa Guislaine) soignera 2432 blessés ou malades arrivés par le train Dinan-Plancoët-Saint-Cast, après plusieurs jours de transport ; 12 dont 3 Belges y décéderont.
La vie à l’arrière :
Et pendant ces quatre horribles années, la vie continue pour ceux qui ne sont pas partis : les enfants, les adolescents trop jeunes, les grands parents trop âgés, les infirmes réformés et surtout les femmes qui devront, moralement, soutenir les présents et les absents. Les blés ont été fauchés à la fin de juillet 1914 mais ils n’ont pas été battus et les femmes font le travail des hommes. Plus tard, elles vont labourer, herser, ensemencer, à la force de leurs bras puisque les chevaux ont été réquisitionnés. Il leur faut nourrir les bêtes, les traire, entretenir le potager, couper le bois pour la cheminée ou essayer de poursuivre l’activité commerciale de leur époux. Elles élèvent seules leurs enfants, s’occupent de leurs parents et beaux-parents, envoient des lettres, des colis, des vêtements chauds tricotés pendant les veillées. Et surtout elles vivent dans la crainte constante de l’annonce d’une mauvaise nouvelle car les services funèbres à la mémoire des disparus se succèdent tragiquement, même s’ils sont accompagnés d’une chaleureuse allocution et de la remise de la Médaille militaire ou de la Croix de guerre.
L’Armistice :
Enfin, le 11 novembre 1918, le cauchemar va prendre fin. Laissons s’exprimer notre poilu de Pen Guen: «Le soir, on nous assure que l’Armistice est signée. On reste tout bête. Quelques braillards dans la rue. C’est tout et pourtant c’est vrai. Pas d’enthousiasme, le pinard manque….Ce jour pour lequel on se promettait tant de bonheur depuis plus de quatre ans passe inaperçu tellement on est blasé. On voudrait juste être tiré de ce sale métier».